Le renouvellement d’un bail commercial d’hôtel obéit à des règles spécifiques qui diffèrent des autres activités commerciales. La détermination du montant du loyer repose sur une méthode de calcul particulière, adaptée aux caractéristiques de l’exploitation hôtelière et à la nature monovalente de ces établissements.
En principe, le loyer de renouvellement doit être fixé à la valeur locative, conformément à l’article L.145-33 du Code de commerce. Pour les hôtels, souvent qualifiés de locaux monovalents, cette valeur locative est déterminée par dérogation au régime de droit commun, en application de l’article R.145-10 qui renvoie aux usages observés dans la branche d’activité hôtelière, et notamment à la méthode hôtelière.
Les principes de la méthode hôtelière
La méthode hôtelière constitue le mode de calcul de référence pour établir le montant du loyer d’un établissement hôtelier. Elle se distingue de la méthode des loyers comparatifs utilisée pour les autres commerces.
Le fondement de la méthode
Cette méthode repose sur un principe simple : le loyer correspond à un pourcentage du chiffre d’affaires potentiel de l’établissement. Ce mode de calcul tient compte de la capacité d’exploitation de l’hôtel plutôt que de sa seule surface ou de son emplacement.
Le calcul s’effectue à partir du chiffre d’affaires que l’établissement peut générer annuellement. Cette recette théorique annuelle se calcule en multipliant le nombre de chambres par le prix moyen de la chambre et par 365 jours. Cette approche permet d’évaluer le potentiel économique de l’établissement indépendamment des performances réelles de l’exploitant et de le traduire en valeur locative au sens du statut des baux commerciaux.
Le taux de rendement applicable
Le loyer représente traditionnellement entre 8% et 12% de la recette potentielle annuelle. Ce taux varie selon plusieurs paramètres :
- La catégorie de l’hôtel (nombre d’étoiles)
- La localisation géographique
- Les prestations proposées (restaurant, spa, séminaires)
- L’état général de l’immeuble
- Les charges et obligations du preneur
- Le taux d’occupation moyen constaté dans la zone
Ce rapport entre le loyer et les revenus d’exploitation constitue un indicateur de la charge locative supportée par l’exploitant et permet de vérifier la cohérence entre le loyer demandé et la valeur locative de l’hôtel, notamment au regard du taux d’occupation raisonnablement envisageable sur le marché concerné.
La réforme de 2016 : les évolutions de la méthode hôtelière
La méthode hôtelière a été actualisée en 2016 pour s’adapter aux évolutions du secteur. Cette révision prend en compte les transformations du marché hôtelier et les nouvelles conditions d’exploitation, dans le sillage des mises à jour des référentiels professionnels d’évaluation (notamment la Charte de l’expertise en évaluation immobilière et les recommandations des organisations professionnelles du secteur hôtelier).
Les modifications apportées
L’actualisation de la méthode intègre plusieurs éléments qui n’étaient pas suffisamment pris en compte auparavant :
- L’impact de la concurrence en ligne et des plateformes de réservation
- Les coûts de distribution qui ont augmenté avec la digitalisation
- Les nouvelles normes de confort et d’équipement
- L’évolution des attentes de la clientèle
- Les variations saisonnières et le taux de remplissage effectif des établissements (c’est-à-dire le taux d’occupation observé en pratique, qui vient corriger le potentiel théorique)
Ces modifications ont généralement conduit à une révision à la baisse des taux de rendement appliqués, pour tenir compte de l’augmentation des charges d’exploitation supportées par les hôteliers.
Les critères d’évaluation actualisés
La méthode révisée affine l’analyse en distinguant plus précisément les différentes catégories d’établissements. Elle prend en compte :
- Le positionnement tarifaire réel de l’établissement sur son marché
- Les services annexes et leur contribution au chiffre d’affaires
- Les investissements nécessaires pour maintenir la compétitivité
- Les contraintes réglementaires spécifiques au secteur
- Les usages observés dans la profession hôtelière
La mise en œuvre pratique du calcul
La détermination de la recette potentielle
Le calcul commence par l’établissement du chiffre d’affaires potentiel annuel. Cette étape nécessite de déterminer :
Le nombre de chambres exploitables : il s’agit du nombre total de chambres que l’établissement peut commercialiser, en excluant les locaux techniques ou les espaces non destinés à l’hébergement.
Le prix moyen de référence : ce prix doit correspondre au tarif pratiqué par des établissements comparables dans la même zone géographique. Il ne s’agit pas du prix effectivement pratiqué par l’exploitant sortant, mais d’un prix de marché objectif. En pratique, l’expert applique souvent un abattement sur prix (ou plusieurs abattements successifs) sur les tarifs affichés pour intégrer les promotions, la segmentation tarifaire (corporate, groupes, OTA, etc.) et les remises consenties à la clientèle : il ne travaille donc pas sur les prix publics bruts, mais sur un prix moyen corrigé. Certaines méthodes prévoient l’application d’abattements sur les prix affichés des chambres pour tenir compte des promotions et des variations tarifaires.
Le taux d’occupation : bien que la méthode traditionnelle retienne un taux d’occupation théorique de 100%, certaines approches intègrent désormais le taux de remplissage moyen observé dans le secteur géographique concerné pour affiner le calcul ; ce taux d’occupation doit cependant rester déconnecté de la seule performance individuelle de l’exploitant pour exprimer une valeur locative de marché et non le résultat de la bonne ou mauvaise gestion du preneur.
L’application du taux de rendement
Une fois la recette potentielle établie, le taux de rendement approprié est appliqué. Ce taux fait l’objet d’une appréciation au cas par cas, en fonction des caractéristiques de l’établissement.
Pour un hôtel 3 étoiles en centre-ville, le taux se situe généralement entre 9% et 11%. Un établissement 4 ou 5 étoiles, qui nécessite des investissements plus importants et supporte des charges plus élevées, peut justifier un taux inférieur, autour de 7% à 9% ; là encore, le couple assiette (recette potentielle corrigée) / taux de rendement doit conduire à un loyer compatible avec la valeur locative d’un hôtel présentant les mêmes caractéristiques (catégorie, situation, taux d’occupation raisonnable, niveau de prestations).
Les particularités du bail hôtelier
La référence aux usages professionnels
La jurisprudence reconnaît que la fixation du loyer hôtelier doit respecter les usages de la profession. Ces usages privilégient la méthode hôtelière, même si le bail ne la mentionne pas expressément.
Le juge peut écarter la méthode des loyers comparatifs si elle ne correspond pas aux pratiques observées dans le secteur hôtelier. Cette position protège les exploitants contre des hausses de loyer qui ne tiendraient pas compte de la réalité économique de leur activité.
La spécificité des établissements hôteliers, caractérisés par leur destination unique et leur difficulté de reconversion, justifie cette approche particulière de l’évaluation de la valeur locative hôtelière et illustre la monovalence de ces locaux au sens de l’article R.145-10 du Code de commerce, qui permet de fixer le loyer en fonction des usages professionnels plutôt que par la seule comparaison de loyers voisins.
Les ajustements possibles
La méthode hôtelière n’est pas une formule rigide. Elle peut être ajustée pour tenir compte de situations particulières :
- La présence d’un restaurant important peut justifier une pondération du calcul
- Des locaux annexes (salles de séminaire, spa) peuvent faire l’objet d’une évaluation séparée
- L’état du bâti et les travaux réalisés ou nécessaires peuvent influencer le taux retenu
- Les clauses du bail relatives à la répartition des charges doivent être prises en compte
- Les investissements consentis par le preneur peuvent justifier une modération du loyer
L’impact des travaux sur le montant du loyer
Les travaux réalisés pendant la durée du bail constituent un élément d’appréciation du loyer renouvelé. Il convient de distinguer :
Les travaux d’amélioration financés par le preneur, qui ne doivent pas conduire à une augmentation du loyer si le bailleur n’a pas contribué à leur financement. L’exploitant ne peut être pénalisé par ses propres investissements.
Les travaux de mise aux normes ou de rénovation pris en charge par le bailleur, qui peuvent justifier une revalorisation du loyer dans la mesure où ils améliorent la valeur locative de l’établissement et modifient ainsi la base de calcul de la méthode hôtelière (prix moyen possible, taux d’occupation cible, positionnement de marché).
Le rôle de l’expert immobilier
La complexité de la méthode hôtelière justifie souvent le recours à un expert spécialisé dans l’immobilier hôtelier. Son intervention permet d’établir une évaluation contradictoire et argumentée de la valeur locative.
Les missions de l’expert
L’expert immobilier procède à une analyse détaillée de l’établissement :
- Visite des lieux et inventaire des équipements
- Analyse du marché hôtelier local
- Étude des prix pratiqués par les établissements comparables
- Examen des conditions du bail et des charges
- Application de la méthode hôtelière avec justification du taux retenu
- Prise en compte des pratiques constatées dans la profession
Dans son rapport, l’expert doit démontrer en quoi la combinaison des hypothèses retenues (prix moyen après abattement sur prix, taux d’occupation retenu, taux de rendement) conduit à un loyer qui reflète la valeur locative d’un hôtel présentant des caractéristiques similaires, et non un simple loyer “de convenance” ou un loyer “économique” déconnecté du statut des baux commerciaux.
La valeur probante du rapport d’expertise
Le rapport d’expertise constitue un élément déterminant dans la négociation du loyer renouvelé. En cas de désaccord persistant entre bailleur et preneur, il servira de base à la décision du juge.
L’expert doit justifier chaque élément de son calcul et expliquer les raisons du taux de rendement retenu. La qualité de son argumentation influence directement la crédibilité de son évaluation et la probabilité que le juge retienne la valeur locative qu’il propose pour le local monovalent en cause.
Les points de vigilance pour les preneurs
La contestation de la méthode
Le bailleur peut tenter d’imposer une méthode de calcul différente, notamment la méthode des loyers comparatifs qui aboutit souvent à un loyer plus élevé. Le preneur doit alors démontrer que les usages de la profession hôtelière imposent l’application de la méthode hôtelière.
Cette démonstration s’appuie sur la jurisprudence constante et sur les pratiques attestées par les organisations professionnelles du secteur. L’argumentation doit souligner la spécificité des établissements hôteliers et leur caractère monovalent ; en d’autres termes, le preneur doit rappeler que la monovalence des locaux conduit à appliquer l’article R.145-10 du Code de commerce et à fixer le loyer en fonction de la valeur locative déterminée selon les usages hôteliers.
La vérification des données de calcul
Chaque élément du calcul doit être vérifié avec attention :
- Le nombre de chambres retenu correspond-il à la réalité exploitable ?
- Le prix moyen de référence est-il cohérent avec le marché local ?
- Les abattements éventuels sur les tarifs affichés sont-ils justifiés ? S’agit-il d’un simple ajustement ponctuel ou d’un véritable abattement sur prix structurel intégré dans la politique tarifaire ?
- Le taux de rendement appliqué est-il justifié au regard des caractéristiques de l’établissement ?
- Les éventuelles activités annexes sont-elles correctement prises en compte ?
- Le taux d’occupation retenu reflète-t-il les conditions du marché local ? Un taux d’occupation anormalement élevé ou bas peut fausser la détermination de la valeur locative et doit être discuté.
La construction de l’argumentation pour le renouvellement
La préparation du dossier nécessite une approche méthodique. Le preneur doit rassembler les éléments permettant de justifier l’application de la méthode hôtelière et le montant proposé :
- Documentation sur les prix pratiqués dans le secteur
- Attestations d’organisations professionnelles sur les usages observés
- Jurisprudence applicable à des situations comparables
- Rapport d’expertise contradictoire si possible
- Analyse comparative des taux de rendement appliqués dans des établissements similaires
- Éléments démontrant l’impact des travaux réalisés
L’anticipation du contentieux
La détermination du loyer renouvelé des hôtels génère régulièrement des contentieux. Le preneur doit préparer le dossier en constituant un corpus de preuves solide dès le début de la procédure.
L’analyse théorique du loyer doit être confrontée aux réalités économiques de l’exploitation. Un loyer qui représenterait une charge excessive par rapport aux revenus potentiels de l’établissement pourrait être contesté sur le fondement de la viabilité économique de l’exploitation et de l’écart manifeste entre le loyer réclamé et la valeur locative de l’hôtel pris comme local monovalent.
Les spécificités selon les catégories d’établissements
Les hôtels économiques
Pour les établissements 1 et 2 étoiles, le calcul doit tenir compte des marges d’exploitation réduites et de la forte concurrence. Le taux de rendement appliqué se situe généralement dans la fourchette haute (10% à 12%) car ces établissements supportent proportionnellement moins de charges d’exploitation et doivent maintenir un taux d’occupation élevé pour préserver leur équilibre économique, ce qui pèse directement sur la valeur locative acceptable.
Les hôtels de milieu de gamme
Les établissements 3 étoiles représentent la catégorie la plus représentée. Le calcul doit intégrer l’équilibre entre les tarifs pratiqués et les prestations offertes. Le taux de rendement moyen se situe entre 9% et 11%.
Les hôtels haut de gamme
Pour les établissements 4 et 5 étoiles, le calcul doit prendre en compte les investissements importants nécessaires au maintien du standing. Les charges d’exploitation sont proportionnellement plus élevées, ce qui justifie des taux de rendement plus faibles (7% à 9%) ; la valeur locative de ces établissements se déduit alors d’un potentiel de chiffre d’affaires élevé, mais avec un taux d’occupation et un niveau de charges plus sensibles aux aléas du marché, ce qui milite pour des loyers plus modérés en proportion du chiffre d’affaires.
Les évolutions à anticiper
Le secteur hôtelier connaît des mutations rapides qui influencent la détermination des loyers. La concurrence des locations de courte durée, l’évolution des modes de consommation et les contraintes environnementales modifient les conditions d’exploitation.
Les nouvelles pratiques de réservation et de distribution ont un impact direct sur les revenus des établissements. Les commissions versées aux plateformes en ligne réduisent les marges et doivent être prises en compte dans l’appréciation du loyer.
Ces transformations conduiront probablement à de nouvelles adaptations de la méthode hôtelière dans les années à venir : la prise en compte plus fine du taux d’occupation, des différents abattements sur prix pratiqués selon les canaux de distribution et des spécificités de la monovalence hôtelière seront au cœur de la discussion sur la valeur locative des établissements.


