Bail dérogatoire (art. L145-5 c. com.) : régime juridique et risques 

Guide pratique du bail dérogatoire : différences avec le bail commercial, durée, mentions obligatoires, fin du contrat et risques pour le preneur et le bailleur. 

Le bail dérogatoire : définition et caractéristiques 

Le bail dérogatoire, prévu par l’article L. 145-5 du Code de commerce, permet à un bailleur et à un preneur de conclure une location commerciale de courte durée sans appliquer le statut des baux commerciaux. Cette formule contractuelle offre une alternative au bail commercial classique de neuf ans, en permettant une occupation temporaire des locaux. 

Trois conditions cumulatives doivent être réunies pour qu’un bail soit qualifié de dérogatoire : 

  • Une volonté commune des parties de déroger au statut des baux commerciaux 
  • La conclusion du bail lors de l’entrée dans les lieux du preneur 
  • Une durée totale n’excédant pas trois ans 

La durée de trois ans a été portée de deux à trois ans par la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014, dite loi Pinel. Cette modification législative visait à offrir davantage de souplesse aux parties tout en maintenant un cadre protecteur. 

Différences avec le bail commercial classique 

Le bail commercial classique, régi par les articles L. 145-1 et suivants du Code de commerce, présente des caractéristiques distinctes du bail dérogatoire. 

Durée du contrat 

Le bail commercial classique s’établit pour une durée minimale de neuf ans, avec possibilité de résiliation triennale pour le preneur. Le bail dérogatoire, lui, ne peut excéder trois ans au total, renouvellements compris. 

Droit au renouvellement 

Le bail commercial confère au preneur un droit au renouvellement, qualifié de propriété commerciale. Ce droit permet au locataire de solliciter le renouvellement de son bail à l’échéance. Le bail dérogatoire exclut cette protection : le contrat prend fin de plein droit à son terme, sans possibilité de renouvellement. 

Indemnité d’éviction 

En cas de refus de renouvellement d’un bail commercial classique, le bailleur doit verser une indemnité d’éviction au preneur, sauf motif grave et légitime. Cette obligation n’existe pas dans le cadre d’un bail dérogatoire, qui cesse naturellement à son terme. 

Révision du loyer 

Le bail commercial prévoit des mécanismes d’indexation et de révision du loyer encadrés par le statut. Le bail dérogatoire relève du droit commun des contrats : les parties déterminent librement les modalités de fixation du loyer, dans le respect des règles du Code civil. 

Utilité pratique du bail dérogatoire 

Le bail dérogatoire répond à plusieurs situations professionnelles où la flexibilité prime sur la stabilité à long terme. 

Pour le preneur 

Cette formule permet de tester une activité commerciale sans engagement à long terme. Un entrepreneur qui souhaite vérifier la viabilité d’un concept ou la rentabilité d’un emplacement peut opter pour cette solution. Le bail dérogatoire convient également aux activités temporaires par nature ou aux professionnels qui ne souhaitent pas s’engager sur neuf ans. 

Pour le bailleur 

Le propriétaire conserve la maîtrise de son bien à court terme. Cette option s’avère pertinente lorsqu’il envisage des travaux, une vente ou une réaffectation des locaux dans les trois ans. Le bail dérogatoire évite la constitution d’un droit au renouvellement et simplifie la récupération des locaux. 

Situations d’usage courant 

Les pop-up stores, les boutiques éphémères, les activités saisonnières étendues ou les installations temporaires dans des centres commerciaux constituent des exemples d’utilisation fréquente du bail dérogatoire. 

Régime juridique du bail dérogatoire 

Mentions obligatoires 

Le contrat doit exprimer clairement la volonté des parties de déroger au statut des baux commerciaux. Une clause explicite mentionnant l’article L. 145-5 du Code de commerce et la durée précise du bail s’impose. L’absence de cette mention expose les parties à une requalification en bail commercial classique. 

La loi de 2014 a instauré l’obligation d’établir un état des lieux contradictoire, amiable ou par huissier, à l’entrée et à la sortie du preneur. Cette formalité protège les deux parties en cas de litige sur l’état du local. 

Durée et renouvellements 

La durée totale du bail dérogatoire ne peut excéder trois ans. Les parties peuvent conclure un premier bail d’un an, puis le renouveler pour deux ans supplémentaires, mais la durée cumulée ne doit jamais dépasser trente-six mois. 

La loi de 2014 a expressément interdit la conclusion de nouveaux baux dérogatoires entre les mêmes parties pour les mêmes locaux après l’expiration de cette période de trois ans. Cette interdiction vise à empêcher le contournement du statut protecteur des baux commerciaux. 

Fin du contrat 

Le bail dérogatoire cesse de plein droit à son terme, sans formalité particulière. Toutefois, il reste recommandé d’adresser un congé-avertissement au preneur pour éviter toute ambiguïté sur la date de fin du bail. 

Si le preneur reste dans les lieux au-delà du terme et que le bailleur ne s’y oppose pas pendant au moins un mois, le bail se transforme automatiquement en bail commercial de neuf ans. Ce mécanisme de transformation automatique constitue un point d’attention pour les bailleurs. 

Cession et sous-location 

Le bail dérogatoire relève du droit commun du Code civil. Les possibilités de cession du bail ou de sous-location dépendent des stipulations contractuelles. En l’absence de clause spécifique, l’accord du bailleur reste nécessaire pour toute cession ou sous-location. 

Droit de préemption 

Le preneur d’un bail dérogatoire ne bénéficie pas du droit de préemption en cas de vente des locaux, contrairement au titulaire d’un bail commercial classique. 

Risques pour le preneur 

Absence de protection 

Le preneur d’un bail dérogatoire ne dispose d’aucun droit au renouvellement. À l’échéance du bail, il doit quitter les lieux sans pouvoir prétendre à une indemnité d’éviction, même s’il a développé une clientèle sur place. Cette situation peut compromettre la pérennité de l’activité commerciale. 

Investissements perdus 

Les aménagements et travaux réalisés dans les locaux peuvent représenter des sommes importantes. Sans droit au renouvellement, le preneur risque de ne pas amortir ces investissements sur une période de trois ans. La négociation d’une clause de reprise des aménagements ou d’une indemnisation contractuelle mérite attention. 

Difficulté de valorisation du fonds de commerce 

Un fonds de commerce exploité dans le cadre d’un bail dérogatoire présente une valeur moindre qu’un fonds bénéficiant d’un bail commercial classique. La précarité de l’occupation réduit l’attractivité du fonds en cas de cession. 

Transformation automatique en bail commercial 

Si le preneur reste dans les lieux après le terme du bail dérogatoire avec l’accord tacite du bailleur pendant plus d’un mois, le contrat se transforme automatiquement en bail commercial de neuf ans. Cette transformation peut surprendre un preneur qui ne souhaitait pas s’engager à long terme et se retrouve lié pour neuf ans. 

Interdiction de renouvellement 

Après trois ans d’occupation en bail dérogatoire, le preneur ne peut plus conclure un nouveau bail dérogatoire pour les mêmes locaux avec le même bailleur. S’il souhaite poursuivre son activité au même endroit, il doit nécessairement basculer vers un bail commercial classique ou quitter les lieux. 

Risques pour le bailleur 

Transformation involontaire en bail commercial 

Le risque principal pour le bailleur réside dans la transformation automatique du bail dérogatoire en bail commercial de neuf ans. Si le preneur reste dans les lieux après le terme et que le bailleur ne réagit pas dans le mois suivant l’échéance, le bail devient statutaire. Le bailleur se trouve alors lié pour neuf ans et le preneur acquiert un droit au renouvellement. 

Cette transformation peut contrecarrer les projets du propriétaire et l’empêcher de disposer librement de son bien. Une vigilance particulière s’impose à l’approche du terme du bail. 

Requalification judiciaire 

Les tribunaux contrôlent la réalité de la volonté dérogatoire des parties. Si le juge estime que le bail dérogatoire constitue une fraude destinée à contourner le statut protecteur, il peut le requalifier en bail commercial classique dès l’origine. Cette requalification entraîne l’application rétroactive de toutes les règles du statut, y compris le droit au renouvellement. 

Les indices de fraude incluent : la succession de baux dérogatoires au-delà de trois ans, l’absence de réelle volonté de limiter la durée, ou des circonstances démontrant que le preneur s’est installé dans une perspective durable. 

Obligations de remise en état 

Le bailleur doit veiller à ce que l’état des lieux de sortie soit établi dans les règles. En l’absence d’état des lieux contradictoire, il peut rencontrer des difficultés pour obtenir la réparation des dégradations éventuelles. 

Limitation des loyers futurs 

Si le bail dérogatoire se transforme en bail commercial, le loyer du bail dérogatoire devient le loyer de référence pour le bail commercial. Si ce loyer était fixé à un niveau inférieur à la valeur locative de marché, le bailleur ne pourra pas l’ajuster librement et devra respecter les règles de plafonnement du statut. 

Distinction avec la convention d’occupation précaire 

Le bail dérogatoire ne doit pas être confondu avec la convention d’occupation précaire, codifiée à l’article L. 145-5-1 du Code de commerce par la loi de 2014. 

Nature juridique différente 

La convention d’occupation précaire n’est pas un bail au sens juridique du terme. Elle se caractérise par le fait que l’occupation des lieux n’est autorisée qu’en raison de circonstances particulières indépendantes de la seule volonté des parties. 

Critères de la précarité 

La précarité doit résulter de motifs objectifs et légitimes : immeuble destiné à la démolition, attente d’expropriation, réalisation de travaux, acquisition par une collectivité publique. La simple volonté des parties ne suffit pas. 

Durée variable 

Contrairement au bail dérogatoire limité à trois ans, la convention d’occupation précaire peut durer quelques jours ou plusieurs années, selon la persistance du motif de précarité. 

Révocabilité 

La convention d’occupation précaire peut être révoquée à tout moment par le propriétaire, dès lors que le motif de précarité disparaît ou que le propriétaire souhaite récupérer les lieux. Le bail dérogatoire, lui, lie les parties jusqu’à son terme. 

Conseils pratiques de rédaction 

Clauses essentielles 

Le contrat doit mentionner explicitement la référence à l’article L. 145-5 du Code de commerce et la volonté commune des parties d’exclure le statut des baux commerciaux. La durée précise du bail, avec date de début et date de fin, doit figurer clairement. 

Une clause rappelant l’interdiction de renouvellement et l’absence de droit à indemnité d’éviction permet de sécuriser les relations contractuelles. 

État des lieux 

L’établissement d’un état des lieux contradictoire, si possible par huissier, constitue une garantie pour les deux parties. Ce document permet d’éviter les contestations sur l’état du local à la sortie. 

Modalités de sortie 

Il est recommandé de prévoir contractuellement les modalités de restitution des lieux : préavis de rappel, remise des clés, formalités de résiliation des abonnements. Ces précisions facilitent la fin du bail. 

Sort des aménagements 

Les parties ont intérêt à prévoir le sort des aménagements réalisés par le preneur : obligation de remise en état, possibilité de rachat par le bailleur, ou maintien des installations. Cette clause évite les litiges en fin de bail. 

Vigilance sur les dates 

Le bailleur doit impérativement suivre les dates d’échéance et réagir rapidement si le preneur ne libère pas les lieux. Un dépassement d’un mois sans réaction entraîne la transformation automatique en bail commercial. 

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