Travaux hôteliers et Code du tourisme : effets sur le bail

Dans les immeubles où est exploité un hôtel, le droit français prévoit un mécanisme dérogatoire destiné à faciliter la modernisation des établissements. Concrètement, le bailleur ne peut pas s’opposer (et ce, malgré toute clause contraire du bail) à certains travaux d’équipement et d’amélioration réalisés par le locataire, dès lors que ces travaux entrent dans le champ du texte et que la procédure est strictement respectée.

Ce dispositif relève du Code du tourisme, dans les dispositions relatives aux rapports entre bailleurs et locataires d’immeubles affectés à l’hôtellerie.

Champ d’application : quand peut-on invoquer ce régime ?

Le régime spécial n’a pas vocation à s’appliquer à tout local commercial, ni même à tout immeuble accueillant occasionnellement de l’hébergement. Il vise les situations où l’exploitation hôtelière constitue l’usage de référence du site concerné.

En pratique, trois vérifications préalables s’imposent :

  • D’abord, un hôtel doit être effectivement exploité dans l’immeuble (ou dans la partie de l’immeuble concernée par les travaux).
  • Ensuite, le bénéficiaire doit être le locataire propriétaire du fonds de commerce : ce point est essentiel et peut susciter des difficultés dans certains schémas (par exemple, location-gérance, sous-location, exploitation « interposée », etc.).
  • Enfin, le mécanisme présente un caractère d’ordre public : lorsqu’il s’applique, une clause du bail imposant une autorisation préalable ne peut pas, à elle seule, priver le locataire de la protection légale (même si le bail peut organiser des modalités pratiques : horaires, assurances, sécurité du chantier…).

Quels travaux le locataire peut-il réaliser sans autorisation du bailleur ?

Il est important de ne pas surinterpréter le dispositif : il ne s’agit pas d’un « droit général » du locataire à faire tous travaux de modernisation qu’il juge utiles. Le régime vise une liste légale de travaux, et l’éligibilité dépend largement du rattachement concret du projet à l’une des catégories prévues par le texte.

Les travaux visés par la liste légale

Sont notamment couverts (même si les travaux entraînent une modification de la distribution des lieux) :

  • la distribution de l’eau, du gaz et de l’électricité ;
  • l’installation du téléphone et d’appareils récepteurs de radiodiffusion et télévision ;
  • l’équipement sanitaire ;
  • le déversement à l’égout ;
  • l’installation du chauffage central ou de distribution d’air chaud ou climatisé ;
  • l’installation d’ascenseurs, monte-charges et monte-plats ;
  • l’aménagement des cuisines et offices ;
  • la construction de piscines.

Autrement dit, une opération portant, par exemple, sur la climatisation, sur la remise à niveau des réseaux électriques, sur l’optimisation des cuisines/offices ou sur la modernisation d’installations sanitaires peut relever du régime, à condition de démontrer que les travaux correspondent réellement à ces postes et qu’ils ont été notifiés selon les formes requises.

Les travaux « hors liste » : une zone de prudence

Beaucoup de projets hôteliers utiles (au sens économique) ne rentrent pas automatiquement dans cette liste. Dès lors, ils redeviennent soumis au droit commun du bail et à l’analyse des clauses contractuelles.

À titre d’exemples, ne relèvent pas mécaniquement du régime spécial :

  • les travaux d’entretien courant ou de simple remise en état ;
  • les travaux purement esthétiques (embellissements) qui ne se rattachent pas clairement à l’une des catégories listées ;
  • certains travaux de façade / ravalement ou de traitement de pathologies, selon leur nature et la répartition des charges au bail ;
  • les modifications qui heurtent la destination contractuelle (par exemple, transformer durablement des espaces hôteliers en une autre activité sans respecter les règles applicables).

Le point d’attention est très concret : si les travaux sont « hors liste » et réalisés sans respecter les exigences contractuelles, le locataire peut s’exposer à des conséquences lourdes (mise en demeure, action en remise en état, voire activation d’une clause résolutoire selon le bail et les circonstances).

Procédure : comment sécuriser les travaux (notification, délai, commission) ?

En pratique, la procédure est le cœur du dispositif. C’est aussi la principale source de contentieux : un projet techniquement justifié peut perdre son avantage juridique si la notification est incomplète, tardive, ou faite dans des formes discutables.

La notification préalable (obligatoire)

Avant toute exécution, le locataire doit adresser au bailleur une notification par LRAR. Cette notification doit être suffisamment précise pour permettre au bailleur de comprendre exactement ce qui est projeté.

Elle doit comporter au minimum :

  • un plan d’exécution ;
  • un devis descriptif et estimatif des travaux.

En pratique (et même si le texte ne liste pas toujours ces pièces), il est très utile d’ajouter : une note technique, un calendrier prévisionnel, les attestations d’assurance, ainsi qu’un état des lieux photographique. L’objectif est simple : éviter que le débat ultérieur ne porte sur « ce qui avait réellement été annoncé ».

Deux régimes selon que le gros œuvre est affecté… ou non

Travaux n’affectant pas le gros œuvre
Lorsque les travaux relèvent de la liste et qu’ils n’affectent pas le gros œuvre, la logique du texte est que le locataire peut les réaliser après notification régulière, sans que le bailleur puisse utilement s’y opposer au seul motif qu’il n’a pas « autorisé » le chantier.

Travaux affectant le gros œuvre
Si les travaux affectent le gros œuvre, le dispositif est plus encadré : le bailleur dispose d’un délai de 2 mois pour répondre (acceptation ou refus) dans les mêmes formes, et surtout, son silence vaut accord.

En cas de refus (ou de désaccord persistant) sur des travaux affectant le gros œuvre, les travaux ne peuvent être entrepris qu’après un avis favorable d’une commission départementale paritaire (bailleurs/hôteliers), organisée par les textes réglementaires.

La commission départementale : un passage souvent décisif

La commission est généralement saisie via le préfet, avec un dossier complet (notification, pièces jointes, réponse du bailleur, explications techniques). Elle rend un avis dans un délai (classiquement 3 mois) et, à défaut de notification dans ce délai, le silence vaut avis favorable.

Preuves et traçabilité : la « boîte noire » à conserver

Pour sécuriser l’opération et préserver les effets sur le loyer, le locataire doit conserver :

  • LRAR et accusés de réception ;
  • plans, devis, marchés, factures acquittées ;
  • procès-verbaux de réception / d’achèvement ;
  • photos avant/après ;
  • autorisations administratives (urbanisme, sécurité, accessibilité).

Ces pièces sont déterminantes lorsqu’il faut établir (i) que les travaux entrent dans le régime, (ii) qu’ils ont été notifiés correctement, (iii) et quel a été leur impact concret.

Effets majeurs sur le loyer, l’accession et la sortie des lieux

La neutralisation : pas de majoration de loyer fondée sur l’incorporation des travaux (pendant 12 ans)

Le mécanisme repose sur une logique équilibrée : les améliorations réalisées dans ce cadre s’incorporent à l’immeuble (effet « d’accession »), mais le bailleur ne peut pas se servir de cette incorporation pour réclamer une hausse de loyer « grâce » aux investissements du locataire.

Concrètement, ces travaux ne peuvent donner matière à aucune majoration du loyer :

  • pendant la durée du bail en cours,
  • pendant la durée du bail renouvelé qui lui fait suite,
  • et pour une durée de 12 ans (selon les règles fixées par le dispositif, en lien avec l’exécution/achèvement des travaux).

Point pratique : la fixation du loyer en hôtellerie passe souvent par des raisonnements proches des locaux monovalents ; cela n’efface pas la neutralisation, mais impose une approche rigoureuse (neutralisation/abattements) dans la méthode d’évaluation.

La restitution des lieux : restitution en l’état et pas de remise en état exigible

L’un des avantages majeurs du dispositif est que, lors de la sortie, le locataire (ou le cessionnaire du droit au bail) restitue les locaux en l’état, sans que le bailleur puisse exiger la remise dans l’état antérieur du fait de ces travaux.

L’indemnité d’éviction : la plus-value des travaux est prise en compte

En cas de refus de renouvellement ouvrant droit à indemnité d’éviction, celle-ci doit être fixée en tenant compte de la plus-value apportée au fonds de commerce par l’exécution des travaux réalisés dans ce cadre. Cela signifie que les investissements du locataire, correctement réalisés et documentés, peuvent peser dans l’évaluation du préjudice indemnisable.

Contentieux : que faire si le bailleur s’oppose (ou menace la clause résolutoire) ?

Les contestations ne suspendent pas automatiquement les travaux

Le dispositif prévoit que les contestations relatives à son application n’entraînent pas, en principe, la suspension des travaux. Cela renforce l’intérêt d’une notification irréprochable et d’un dossier de preuves très complet.

Stratégies de sécurisation (pragmatiques)

  • En amont : notifier de manière précise et complète ; si le gros œuvre est concerné, intégrer le calendrier lié au délai de 2 mois et, en cas de refus, anticiper la saisine de la commission.
  • En cas de pression immédiate (mise en demeure, commandement, clause résolutoire) : construire une réponse procédurale adaptée au risque (préservation de la jouissance, contestation, référé selon le contexte), en s’appuyant sur le caractère d’ordre public du régime lorsque les conditions sont réunies.
  • Au stade du loyer / renouvellement : produire les pièces pour démontrer que la hausse demandée par le bailleur provient d’améliorations financées par le locataire, et obtenir la neutralisation correspondante.

Précautions indispensables (souvent oubliées)

Clauses du bail : le régime spécial ne « balaye » pas tout

Même si le bail ne peut pas interdire les travaux relevant de la liste lorsque le dispositif s’applique, il peut organiser des obligations raisonnables : encadrement des horaires, gestion des nuisances, obligation d’assurance, accès au chantier, coordination sécurité, etc. L’idée est de concilier la modernisation avec la protection de l’immeuble et des tiers.

Autorisations administratives et règles tierces (urbanisme, copropriété, ERP)

Le régime spécial ne dispense jamais d’obtenir les autorisations nécessaires :

  • déclaration préalable ou permis (selon la nature des travaux),
  • respect des normes ERP (sécurité incendie / accessibilité),
  • règles de copropriété si l’immeuble est en copropriété (votes, parties communes, aspect extérieur), qui peuvent impacter le calendrier et la faisabilité.

Fiscalité : anticiper les impacts

Les travaux peuvent avoir des incidences sur la valeur locative cadastrale et donc sur certaines impositions (taxe foncière, CFE), et ils soulèvent des questions de traitement comptable (immobilisation/amortissement) et parfois de TVA. Ces sujets relèvent souvent d’une analyse conjointe juridique/comptable.

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Équipe

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