I. La révision du loyer en cours de bail commercial : conditions et procédure
- La fixation du loyer en cours de bail à la valeur locative peut être obtenue par le bailleur et le preneur dans deux hypothèses strictes :
- Variation du loyer en cours de bail de plus de 25% résultant de la clause d’indexation ;
- Modification matérielle des facteurs locaux de commercialité ayant entrainé par elle-même une variation de la valeur locative de plus de 10%
- Cette modification du loyer en cours de bail répond à des règles de fond et de formes strictes et impératives ;
- A défaut d’accord, les Parties doivent saisir le Juge des loyers commerciaux
Par la signature du bail commercial ou d’un avenant de renouvellement, le bailleur et le preneur conviennent de fixer le loyer pour une durée minimale de neuf années, étant précisé que le loyer peut être indexé selon les stipulations du bail.
Au cours du bail, le loyer peut-il être modifié à la demande de l’une ou l’autre des parties ?
Le statut des baux commerciaux prévoit deux hypothèses qui permettent au bailleur ou au preneur de faire fixer, en cours de bail, le loyer à la valeur locative.
Les conditions seront exposées ci-après avant une présentation de la procédure.
II. La révision du loyer en cours de bail commercial : conditions
Les conditions pour demander la révision du loyer en cours de bail sont exposées aux articles L.145-38 et L.145-39 du Code de commerce
A. La révision triennale (L.145-38) – Conditions
L’article L145-38 du Code de commerce permet à chaque partie de demander la révision du loyer trois ans au moins après la date d’entrée en jouissance du locataire ou après le point de départ du bail renouvelé.
De nouvelles demandes peuvent être formées tous les trois ans à compter du jour où le nouveau prix sera applicable.
Cette faculté est toutefois limitée en principe car la majoration ou la diminution de loyer consécutive à une révision triennale ne peut excéder la variation de l’indice ILC ou ILAT intervenue depuis la dernière fixation amiable ou judiciaire du loyer.
Pour obtenir la fixation de loyer à la valeur locative telle que définie à l’article L.145-38, le preneur ou le bailleur doivent démontrer :
- Une modification matérielle des facteurs locaux de commercialité ;
Les facteurs locaux de commercialité dépendent principalement de l’intérêt que présente, pour le commerce considéré, l’importance de la ville, du quartier ou de la rue où il est situé, du lieu de son implantation, de la répartition des diverses activités dans le voisinage, des moyens de transport, de l’attrait particulier ou des sujétions que peut présenter l’emplacement pour l’activité considérée et des modifications que ces éléments subissent d’une manière durable ou provisoire.
- ayant entraîné par elle-même une variation de plus de 10 % de la valeur locative.
Les modifications peuvent être positives (amélioration de la desserte, création d’équipements publics, développement de la zone de chalandise) ou négatives (travaux publics prolongés, fermeture d’équipements structurants, dégradation durable de l’environnement commercial).
Illustration pratique : des locaux commerciaux sont loués par un restaurateur dans une rue commerçante parisienne. La Ville décide de rendre de l’espace aux piétons et au cours du bail la rue est piétonisée et végétalisée. Le restaurateur estime que son restaurant a non seulement perdu en visibilité du fait de l’absence de trafic routier, mais surtout que ses clients ne peuvent plus se rendre dans son établissement, notamment le soir, en voiture ou en taxi.
Pour prétendre à une modification du loyer en cours de bail et une fixation du loyer à la valeur location, ledit restaurateur devra démontrer :
- Une modification matérielle des facteurs locaux de commercialité ; en l’espèce, la végétalisation et la piétonisation de la rue ;
- Que cette modification a entraîné par elle-même une variation de plus de 10 % de la valeur locative ; en conséquence le restaurateur devra justifier (i) de la valeur locative des locaux avant la modification matérielle au moment de la dernière fixation du loyer, (ii) de la valeur locative des locaux après la modification matérielle et (iii) que ces deux valeurs présentent un écart de plus de 10%.
B. La clause d’échelle mobile
Si le bail est assorti d’une clause d’échelle mobile (c’est-à-dire d’une clause d’indexation), la révision peut être demandée chaque fois que, par le jeu de cette clause, le loyer se trouve augmenté ou diminué de plus d’un quart par rapport au prix précédemment fixé contractuellement ou par décision judiciaire.
En d’autres termes, le loyer doit avoir varié de plus ou moins de 25% en application de la clause d’indexation depuis la dernière fixation du loyer par les parties ou depuis la dernière fixation judiciaire.
Il sera précisé que, peu importe le fait que le bailleur n’est pas correctement appliqué l’indexation ; le texte prévoit que c’est le jeu de la clause qui compte, et non la facturation réalisée par le bailleur.
Illustration pratique : un bail commercial a pris effet le 1er janvier 2010 pour une durée de neuf années moyennant un loyer de 100.000 € HT/HC par an. Dans les six mois de l’expiration du bail, soit le 31 décembre 2018, le preneur a sollicité le renouvellement de son bail à effet du 1er janvier 2019 et aucune des parties n’a saisi le juge des loyers dans le délai de prescription. Ce bail s’est donc définitivement renouvelé au 1er janvier 2019 pour le prix antérieur de 120.000 € HT/HC par an.
A la date du 1er janvier 2025 et en application de la clause d’indexation du bail qui prévoit une variation selon la variation de l’indice du coût de la construction (ICC), le loyer a été porté à la somme de 155.000 € HT/HC par an.
En l’espèce, la variation du loyer depuis la dernière fixation (en cas de renouvellement, on prend en compte le loyer au moment du renouvellement) s’établit comme suit :
- Loyer du bail renouvelé : 120.000 €
- Loyer en vigueur le 1er janvier 2025 : 155.000 €
- Taux de variation : 29,17%
Dans cette illustration et compte tenu que la variation a excédé de 25%, le preneur et le bailleur sont fondés à solliciter la révision du loyer du bail en cours et obtenir la fixation du loyer à la valeur locative des locaux loués.
III. La révision du loyer en cours de bail commercial : formes
La demande de révision des loyers est formée par acte extrajudiciaire ou par lettre recommandée avec demande d’avis de réception. Pour la révision triennale, la demande peut intervenir à partir du premier jour suivant l’expiration de la période triennale ;
Elle précise, à peine de nullité, le montant du loyer demandé ou offert.
À défaut d’accord, la demande est jugée par le Juge des loyers commerciaux dans les conditions prévues aux articles L. 145-56 à L. 145-60 du Code de commerce.
Le nouveau prix est dû à dater du jour de la demande.
N.B. : la demande de révision notifiée par le bailleur ou le preneur ne constitue qu’une offre de la part du bailleur ou du preneur ; à défaut d’accord des parties, il faut impérativement saisir le Juge des loyers dans le délai de prescription de deux ans pour obtenir la fixation judiciaire du loyer révisé.
IV. La révision du loyer en cours de bail commercial : procédure judiciaire
A. Le mémoire préalable et l’assignation
À défaut d’accord de la partie ayant s’étant vu notifier la demande de révision, le prix du bail révisé est fixé par le Juge des loyers commerciaux.
Le Juge des loyers commerciaux statue sur mémoire, à la demande du bailleur ou du preneur.
Les mémoires indiquent l’adresse de l’immeuble donné à bail ainsi que :
1° Pour les personnes physiques, leurs nom, prénom(s), profession, domicile, nationalité, date et lieu de naissance ;
2° Pour les personnes morales, leurs dénomination et siège social, ainsi que le titre et les nom et prénom(s) de leur représentant légal.
Et les mémoires contiennent :
1° Une copie de la demande en fixation de prix faite ;
2° L’indication des autres prétentions ;
3° Les explications de droit et de fait de nature à justifier les prétentions de leur auteur ou à réfuter celles de l’autre partie.
Les mémoires sont signés par les avocats des parties.
Chaque partie dispose d’un délai de deux à compter de la date de la demande pour notifier un mémoire.
À défaut de réponse ou en cas de mémoire en réponse, la saisine du Juge des loyers est faite par assignation. L’assignation n’a pas à reproduire ou à contenir les éléments déjà portés à la connaissance du défendeur.
Le juge ne peut, à peine d’irrecevabilité, être saisi avant l’expiration d’un délai d’un mois suivant la réception par son destinataire du premier mémoire établi.
La partie la plus diligente remet au greffe son mémoire aux fins de fixation de la date de l’audience. Elle y annexe les pièces sur lesquelles elle fonde sa demande et un plan des locaux. Elle y joint également le mémoire et les pièces reçues de l’autre partie.
B. Une procédure écrite avec constitution d’avocat obligatoire
Les parties sont tenues de constituer avocat. Elles ne peuvent, ainsi que leur conseil, développer oralement, à l’audience, que les moyens et conclusions de leurs mémoires.
C. L’expertise judiciaire
Si les divergences portent sur des points de fait qui ne peuvent être tranchés sans recourir à une expertise, le juge désigne un expert dont la mission porte sur les éléments de fait et permettront au juge des loyers d’apprécier :
- L’existence ou non d’une modification matérielle des facteurs locaux de commercialité ayant entraîné par elle-même une variation de plus ou moins de 10% de la valeur locative ;
- La valeur locative des locaux loués telle que définie suivant les critères du Code de commerce.
De surcroît, le Juge ne peut fixer le loyer en s’appuyant uniquement sur un rapport amiable d’un expert qui aurait été produit par l’une des parties, sans contradictoire.
En conséquence, en pratique le Juge des loyers commerciaux désigne avant dire droit un expert judiciaire qui, dans le respect du contradictoire, convoquera les parties pour une visite des locaux et sera chargé par la juridiction de fournir tout élément permettant d’apprécier (i) si les conditions de fond de la révision sont réunies et (ii) la valeur locative des locaux loués (selon les règles applicables à chaque type d’actifs).
Avant le dépôt de son rapport final, l’expert adresse aux parties une note de synthèse et les invite à faire part de leurs observations dans un délai qu’il fixe.
D. L’amiable et la négociation entre bailleur et preneur
Il est important de rappeler qu’au cours de la procédure en révision du loyer de renouvellement, les parties se voient proposer une mesure de médiation ou une audience de règlement amiable.
Ces procédures permettent souvent aux parties d’aboutir à un accord s’agissant de la fixation du loyer révisé.
Les parties peuvent en outre toujours trouver un accord sur le montant du loyer grâce aux échanges confidentiels de leurs conseils respectifs.
E. La décision du Juge des loyers commerciaux et le délai d’appel
À défaut d’accord entre les parties, le Juge des loyers commerciaux, s’il estime les conditions de la révision réunies, fixe le prix du bail révisé par jugement. La fixation du loyer est rétroactive à la date de la demande de révision.
Les décisions rendues en matière de renouvellement de bail commercial peuvent faire l’objet d’un appel. Le délai d’appel est d’un mois à compter de la signification du jugement. La cour d’appel statue souverainement sur l’appréciation de la valeur locative et les éventuels motifs de déplafonnement, à l’instar du Juge des loués commerciaux.
F. Délais et prescription de l’action en révision du loyer
L’action en révision du loyer se prescrit par deux ans.
V. Principes en matière de fixation du loyer révisé
À l’exception des locaux monovalent et des locaux à usage exclusif de bureaux, le loyer de renouvellement est fixé selon les règles exposés ci-après
A. La valeur locative déterminée suivant les critères du code de commerce
Le montant des loyers des baux révisés doit correspondre à la valeur locative.
Conformément aux dispositions de l’article L.145-33 du Code de commerce, cette valeur est déterminée d’après :
1. Les caractéristiques du local considéré ;
2. La destination des lieux ;
3. Les obligations respectives des parties ;
4. Les facteurs locaux de commercialité ;
5. Les prix couramment pratiqués dans le voisinage.
En pratique, la valeur locative suivant les critères du Code de commerce est calculée comme suit :
Calcul de la surface pondérée
À partir de la surface utile des locaux, on calcule une surface pondérée puisque tous les mètres carrés d’un local commercial n’ont pas la même valeur.
Les grilles de pondération utilisées sont celles de la Charte de l’expertise en évaluation immobilière.
Élément de comparaison
L’article L145-33 impose de prendre en considération des prix pratiqués dans le voisinage. En pratique, il s’agit de prix par mètres carrés pondérés qui peuvent résulter :
- De nouvelles locations ;
- De renouvellement amiable déplafonné ;
- De fixation judicaire.
Grace aux éléments de comparaison un prix unitaire par mètre carré pondéré est appliqué à la surface pondérée des locaux loués.
Abattements et majorations
Les clauses et conditions du bail étant plus ou moins favorables au locataire, certaines clauses vont permettre soit d’appliquer une majoration, soit un abattement.
Chaque clause du bail commercial doit donc être analysée à l’aune de la jurisprudence abondante sur les majorations et minorations
Exemple
Estimation de la valeur locative d’une pharmacie dans des locaux qui se développe sur une surface de 450 m². Après pondération des différentes surfaces (surface de vente, réserves, vestiaire et salle de pose du personnel), on peut retenir une surface pondérée de 300 m2P.
Les éléments de comparaison retenus sont les suivants :
- une fixation judiciaire pour un prix de 800 € / m2P pour une pharmacie à 200 mètres des locaux ;
- une nouvelle location pour un prix de 1.200 € /m2P pour une parapharmacie qui a ouvert dans la même rue.
Enfin, aux termes du bail renouvelé, la pharmacie supporte la taxe foncière que le bailleur refacture pour un montant de 25.000 €.
La valeur locative peut, dans ce cas d’espèce, s’établir comme suit :
300 m2P x 950 € = 285.000 €
avec un abattement justifié par la taxe foncière supportée par le preneur soit 285.000 – 25.000 € = 260.000 €.
Dans cet exemple simplifié, la valeur locative pourra être fixée à un montant de 260.000 €.
Bien évidemment, chacun des paramètres permettant de déterminer la valeur locative seront discutés par les parties.
B. Les stipulations du bail sur la détermination du loyer révisé
Les règles relatives à la révision sont d’ordre public. Par conséquent, en principe, les stipulations du bail ne permettent pas d’adapter les modalités de détermination de la valeur locative lors d’une révision.
VI. Les stratégies de négociation
La procédure de révision est très importante notamment lorsque le bail prévoit que le loyer ne pourra, au moment du renouvellement, être inférieur au dernier loyer facturé.
La révision permet en effet de modifier au cours du bail le loyer, et par voie de conséquence le plancher qui serait fixé par une clause.
De surcroît, la procédure de révision permet :
- au locataire qui a signé un bail avec un loyer décorrélé du marché de revenir à la valeur locative telle que définie par le Code de commerce ;
- au propriétaire qui, confronté au principe du plafonnement lors des renouvellements successifs, souhaite que le loyer soit fixé à la valeur locative.
L’avocat accompagne le bailleur et le preneur dans la rédaction de l’ensemble des actes (demande de révision, mémoires, assignation) et assure la conduite des négociations outre, le cas échéant, de la procédure judiciaire en respectant les délais et le formalisme imposés par les textes.
L’expert judiciaire apporte son analyse de la valeur locative des locaux (prix du voisinage, pondération, modification matérielle des facteurs locaux de commercialité) et sur l’état du marché.
